Le Monde
UN ENTRETIEN AVEC JACQUES DELORS Le président de la Commission européenne veut " remettre la société en mouvement "
CARTON DANIEL; JARREAU PATRICK; DELORS JACQUES
A l'occasion de la parution de son livre d'entretiens avec le sociologue Dominique Wolton, " l'Unité d'un homme " (éditions Odile Jacob), Jacques Delors nous a accordé un entretien, dans lequel il expose notamment sa vision du changement social, qui est, selon lui, à l'ordre du jour alors que la cohésion sociale est menacée par " l'exclusion " et " l'indifférence ". Le président de la Commission européenne veut " remettre la société en mouvement ". |
"Pourquoi ce livre maintenant ?
- Je voulais terminer ce livre avant de quitter mes fonctions, de façon à montrer aussi aux lecteurs étrangers, à ceux des pays avec lesquels j'ai travaillé, ce que je suis, sans fard. Car pour eux je suis un Français même si je suis un Français atypique, et il n'en demeure pas moins qu'ils me prêtent toujours et les qualités et les défauts des Français. Je voulais aussi qu'à travers ce livre on me comprenne mieux.
N'aurait-il pas mieux valu, dans ce cas, le publier plus tôt ?
- Oui, mais il fallait d'abord que l'Union européenne sorte de cette période de doute qu'elle a connue en 1991, 1992, 1993. Comme, à nouveau, des perspectives plus positives apparaissent, il redevient possible de débattre au fond : que voulons-nous faire ensemble, nous, les Européens, pourquoi et comment ?
- La date de publication que vous choisissez n'est quand même pas neutre dans le débat public en France...
- Dans la mesure où la confrontation de ma pensée avec l'action peut produire des éléments capables de nourrir le débat des mois à venir, tant mieux ! Mais ce n'est pas une pensée globale : c'est une pensée à l'épreuve de ce que j'ai fait. C'est la raison pour laquelle le livre " fait l'impasse " sur des sujets auxquels je n'ai jamais été affronté, ni en tant que militant ni en position de responsabilité.
- Par exemple ?
- On aurait pu attendre un chapitre plus important sur la justice ou, encore, sur les maux de la société comme la drogue et le sida. Le livre est concentré essentiellement sur le bilan de mes propositions et de mes actions, bilan passé au crible par mon brillant interlocuteur, le sociologue Dominique Wolton.
- Ce n'est quand même pas un bilan pour solde de tout compte ?
- Qui vivra verra !
- Cela ne se présente pas uniquement comme un bilan. Vous tracez des perspectives...
- Oui, dans la mesure où la problématique d'une société n'est jamais totalement figée. Il faut discerner, dans toute analyse politique ou sociale, l'immuable et le changeant.
- Vous dites qu'on est sorti d'une période où ce qui était prioritaire était l'établissement du consensus et que l'on serait entré dans une période où, de nouveau, la confrontation entre les choix, les priorités, les intérêts serait possible et, même, souhaitable.
- Il faut un rapport dialectique entre un consensus national nécessaire sur certains sujets, d'un intérêt vital pour la nation, et d'autres problèmes, sur lesquels des divergences peuvent s'exprimer et se traduire dans les faits. C'est ce que j'illustre dans l'avant-propos de mon livre, puis au fil des entretiens avec Dominique Wolton.
" Il est normal que, compte tenu des valeurs que je défends, j'aie mis davantage l'accent, dans les années 50 et 60, sur la nécessité d'un consensus pour la France, car l'époque était marquée par une sorte de guerre civile froide entre les acteurs du jeu politique, économique et social. Mais, aujourd'hui, la situation est différente : ce qui est le plus terrible, c'est le consensus mou ou, encore, l'indifférence croissante des citoyens à l'égard de la chose publique. Voilà qui menace la santé démocratique et l'avenir politique de notre pays.
" Certes, je ne suis pas assez naïf pour croire que les groupes de pression et d'intérêt n'aient pas de rôle à jouer, mais pour transcender ces intérêts particuliers et divergents il faut qu'il y ait des médiateurs. C'est la raison pour laquelle j'insiste, peut-être avec un brin de nostalgie, sur l'importance des relations entre le patronat, les syndicats et l'Etat. C'est aussi pourquoi je suis partisan de la revalorisation du travail parlementaire. Car une de mes grandes craintes réside dans la confrontation directe entre un pouvoir ultrapersonnalisé, d'un côté, et une masse de citoyens, ce que l'on appelle l'opinion publique, de l'autre.
- Vous expliquez, dans ce livre, qu'il y aurait deux tiers des Français inclus, qui obéiraient à la logique dominante économique, libérale, et un tiers de Français exclus, atomisés, le premier groupe n'ayant aucun souci du second.
- Il y a une notion sociologique - remarquablement analysée par le sociologue Henri Mendras - qui est celle du " groupe central ".
" C'est une immense classe moyenne qui est venue se substituer aux clivages du passé. Il s'agit d'un constat, pas plus. En revanche, je m'alarme de l'évolution de notre société, dont les deux tiers vivraient plus ou moins bien, mais sans s'occuper de ceux qu'ils laisseraient au bord de la route : le troisième tiers, au sein duquel se trouveraient les exclus, les marginaux, les sans-espoir. Une telle perspective est, pour moi, inacceptable. Elle briserait le minimum de cohésion sociale sans lequel une société ne peut survivre.
" ceux qui y verraient de l'angélisme, je répondrai que ce troisième tiers est capable de créer des groupes et des commmunautés qui peuvent venir déranger les gens des beaux quartiers. Les mêmes percevraient cela comme une invasion des barbares. Quant à moi, j'y verrais plutôt les symptômes d'une grave crise sociale. Cela s'est déjà produit et peut se produire à nouveau. Considérons ces " cassages " comme un avertissement. Evidemment, sur le plan de l'ordre public, c'est inacceptable, mais pour qui s'intéresse à la société, ce sont les marques d'une fracture sociétale.
- Cela signifie-t-il qu'il y a un lien entre le consensus et l'exclusion ?
- Certainement. Nous vivons déjà, hélas ! dans une société qui s'émeut devant les injustices, qui, de temps à temps, participe à une " journée-charité " télévisée, donne de l'argent et qui, pour le reste du temps, a bonne conscience. C'est affreux, mais c'est ce qui nous menace de plus en plus.
- Vous expliquez aussi, non sans nostalgie, qu'autrefois il existait une classe ouvrière, dans laquelle le collectif l'emportait sur l'individuel et qui croyait à sa mission historique. Vous constatez que cela a disparu et qu'il n'y a plus de pensée unifiante du changement.
- C'est juste. De nombreux progrès réalisés dans nos sociétés l'ont été sous l'impulsion d'une classe ouvrière qui forçait la société à changer, motivée qu'elle était par les aliénations qu'elle subissait et inspirée par les idéologies marxiste ou sociale-démocrate. Telle est la différence entre la situation contemporaine, avec une société en miettes, et les décennies passées, où des groupes solidaires et organisés animaient ce que l'on n'appelait pas encore la " société civile ". Pourtant, elle existait et exerçait une influence.
- Le Parti socialiste a-t-il raison de vouloir, aujourd'hui, incarner le " parti des salariés" ?
- Dans une société où 80 % des actifs sont salariés, c'est évidemment un rêve, pour un parti, d'avoir la quasi-totalité de ce groupe central avec lui. Mais est-ce réaliste ? Après la dernière défaite du Parti travailliste, en Grande-Bretagne, qui n'était pas attendue dans les sondages, une étude a tenté d'en expliquer les raisons. Elle dit, en substance : nous sommes dans une société où il y a 10 % de gens très riches, 70 % de gens dans ce que je nommais le " groupe central " et environ 20 % de pauvres. Et la question venait d'elle-même : peut-on simplement faire payer les 10 % de très riches pour améliorer le sort des 20 % d'exclus ? Evidemment non ! Chacun doit apporter sa part, à la mesure de ses moyens, pour constituer une société plus solidaire et plus cohésive.
" Ce qui vaut pour la Grande-Bretagne vaut aussi pour les autres sociétés post-industrielles, à commencer par la France. C'est pour cela qu'il n'est pas possible de promettre à la fois le maintien du régime universel de sécurité sociale, la lutte efficace contre le chômage et la réduction des impôts. Mais au-delà de ces aspects, qui touchent la distribution des revenus entre les Français, entre les différentes tâches collectives, il faut que la société s'engage pour se sauver elle-même. En disant cela, je me rends compte que je frôle l'utopie, mais j'ai toujours pensé que si les Français et les Françaises ne deviennent pas les acteurs de leur propre changement, celui-ci ne s'opérera pas. L'art et la responsabilité du politique consistent à mettre la société en mouvement, avec une claire conscience, chez chacun, de ses devoirs comme de ses droits. D'autant qu'à la base de nombreux Français et Françaises se sont mobilisés pour créer de l'emploi, concrétiser la solidarité, animer les quartiers ou les milieux ruraux. Les forces vives attendent un signal du politique.
Le marketing politique ne suffit pas
- Quel peut être le moteur de ce changement ?
- Il n'y a plus un groupe social qui soit à l'avant-garde, capable de faire émerger les idées idées porteuses d'avenir, de constituer le moteur des changements nécessaires par les moyens que l'on connaît : le vote sur le plan politique, la négociation sur le plan social. Par conséquent, il faut convaincre le groupe central, sans trop lui faire peur, mais en faisant appel à son sens de la solidarité et, en même temps, en lui montrant les conséquences néfastes, à terme, de la société des deux tiers. C'est au sein de ce groupe qu'il s'agit de travailler. Gagner une élection par le marketing politique ne suffit pas. Aussi importante est la prise de conscience par chacun et par les organisations professionnelles et syndicales de leurs propres responsabilités, mais aussi des perspectives d'avenir, qui sont enthousiasmantes. Les jeunes ont besoin qu'on leur parle de cet avenir, et pas simplement en termes de chômage ou de sida.
- Une élection se gagne toujours au centre ?
- Bien sûr, plus encore qu'avant, mais pas au prix d'une campagne qui rassure ou qui donne l'illusion que c'est à l'autre et à lui seul de faire l'effort. Pas au prix, non plus, d'un immobilisme qui se voudrait rassurant.
- Vous faites grand cas du syndicalisme, mais on est bien obligé de constater l'affaiblissement considérable des syndicats dans ce pays. Est-ce que le syndicalisme, tel que vous l'avez vécu et pratiqué dans les années 1960 et 1970, est toujours le bon outil du changement social ?
- Il y a deux critères pour mesurer son influence : le nombre d'adhérents et les moyens offerts par la loi aux représentants des travailleurs pour se manifester. En France, le critère du nombre d'adhérents nous conduit à un grand pessimisme sur la capacité d'action des syndicats. Ces derniers disposent, en revanche, sur le plan institutionnel (concertation nationale, institutions représentatives au niveau de l'entreprise) des moyens d'apporter leur pierre à l'édifice d'une société plus active et plus juste.
"Aujourd'hui, certains ironisent : " Jacques Delors nous raconte ses vieilles lunes; les syndicats, c'est du passé". Je ne prends pas mon parti du déclin du syndicalisme dans ce pays. Par conviction, certes, mais aussi par raison. Car, qui peut ne pas être effrayé par le vide qui s'accroît entre le pouvoir central et l'opinion publique ? Par conséquent - et c'est une bonne règle de la démocratie participative -, il faut des médiateurs qui expriment les aspirations des citoyens, qui soient capables de dépasser les différents points de vue ou intérêts et, en fin de compte, transcendant ces oppositions pour contribuer au bien commun, la politique peut et doit concourir à recréer les mécanismes de représentation des producteurs comme des usagers.
"Regardez Clinton : comment expliquer son récent échec électoral, alors que son projet consiste, précisément, à reconstituer les bases d'une certaine cohésion sociale ? On peut l'analyser, en partie, par le fait qu'il s'est heurté au conservatisme de cette société, faute d'avoir placé rapidement les jalons des changements souhaités par les électeurs démocrates, faute d'avoir pu s'appuyer sur des forces qui agissent au coeur de la société, pour poser les problèmes de la pauvreté, des emplois précaires et mal rémunérés, des graves insuffisances du système de santé...
- Peut-on arriver à une France cogérée ?
- Pas dans tous les domaines de la vie économique et sociale, car c'est contraire aux traditions du mouvement syndical. Mais celui-ci devra admettre que sa responsabilité directe est engagée en ce qui concerne, notamment, la gestion des marchés locaux du travail et de la formation continue. Dans ces domaines, la cogestion accroîtrait fortement notre capacité à lutter contre le chômage. Mais je ne leur propose pas de cogérer la politique macro-économique. Je ne parle même plus de politique des revenus. Après mes expériences de 1969-1972 et de 1981-1984 en des positions différentes de pouvoir, je mesure bien les inerties, c'est-à-dire la part du réel.
" Le moment est propice pour une mise à plat "
- On bute sur l'incapacité des syndicats à représenter les chômeurs...
- C'est pour cela que je suggère que les syndicats accordent la priorité à la création de sections locales, qui contribueront à la lutte contre le chômage et contre l'exclusion. Ce sera difficile au début, mais il faut que le syndicat redevienne un lieu où l'on se retrouve, où l'on peut se rendre des services les uns aux autres.
- Est-ce qu'une campagne présidentielle peut vraiment permettre d'exposer devant les Français tous ces grands sujets qui les concernent ?
- Pour la société française en général et pour la gauche, en particulier, s'ouvre un chantier qui occupera de nombreuses années. Par conséquent, profitons du fait que la vie intellectuelle renaît en France, que la société s'interroge sur son avenir, dans un monde qui change à une vitesse extraordinaire. Posons les problèmes, suscitons l'intérêt des citoyens ! Ne leur disons pas, surtout, qu'il suffit d'une élection présidentielle pour, comme par miracle, nous épargner les efforts indispensables de lucidité, de participation, de solidarité !
- Vous dites cependant que pour faire changer une société, il faut des idées et une stratégie, en estimant que, dans les années 197O, la meilleure était celle de François Mitterrand. La bonne stratégie pour aujourd'hui existe-t-elle ? Qui peut la fabriquer ?
- Lorsque je me réfère à cette stratégie, je vise, dans mon livre, l'action menée pour regrouper les forces de gauche et les conduire à la victoire politique. Ici, nous parlons d'une autre stratégie, celle d'un changement positif pour la France et pour notre société. Le moment est propice pour une mise à plat et pour un redémarrage, car il se trouve qu'aujourd'hui, il y a une coïncidence entre l'érosion d'une espérance, à gauche, et la fin d'une recette-miracle reagano-thatchériste à droite. D'où une société d'autant plus désabusée vis-à-vis de tout projet politique que le spectacle que lui donne aujourd'hui la scène politique l'encourage à l'indifférence.
- Pouvez-vous vous en tenir à ce constat, faire table rase des espérances et des illusions et dire aux Français : " Maintenant, débrouillez-vous ! "
- Je ne fais pas table rase des espérances, si tant est qu'elles soient très répandues. J'invite à emprunter le long chemin de l'engagement politique et social, pour une société active. C'est en fonction d'une telle préoccupation que j'ai invité mes jeunes camarades à créer le club Témoin. Je les voyais totalement accaparés, soit par les débats internes du Parti socialiste, soit par les attirances du microcosme. Depuis un an et demi, ils mènent très bien un travail à la fois intellectuel et politique, dans un esprit d'ouverture à toutes les analyses intéressantes des problèmes de la société, dans la recherche des innovations qui ouvrent des perspectives positives.
" Les Européens ont les yeux fixés sur nous "
- Certains prétendent néanmoins que cette élection présidentielle sera un choix de société pour notre pays...
- Vous pensez vraiment que cette élection va se jouer sur un choix de société, que les Français sont préparés à cela ? Mon point de vue d'homme d'expérience, qui a quand même réussi certaines choses, c'est qu'il y a un gros travail à faire de la société sur elle-même et de la politique pour susciter l'espoir et permettre l'engagement du plus grand nombre. Bien franchement, face à une telle situation, je préférerais avoir quarante ans plutôt que soixante-neuf, mais c'est comme cela... Je ne vais pas me transformer en joueur de flûte parce qu'il y a une échéance. Je ne vais pas vous dire qu'en avril et mai 1995, les Français vont faire table rase du passé et, comme par enchantement, trouver une sorte de cadeau de Noël, une nouvelle société " clé en main ".
- Il y a sept ans, on annonçait la France unie...
- Le résultat, c'est que, vue de Bruxelles, la France a été relativement immobile, d'autant plus que tout changeait autour de nous avec l'émergence de puissances nouvelles, l'apparition de nouveaux risques pour la paix et pour la liberté.
- Ces derniers jours, deux propositions sont venues, l'une du groupe de travail du Plan dirigé par Alain Minc, préconisant d'accélérer le passage à la monnaie unique; l'autre autre de Jacques Chirac, disant : on ne pourra pas le faire avant 1999 et, en tous cas, pas sans une nouvelle consultation des Français. Vous avez bien une préférence entre ces deux façons de voir l'avenir de la France en Europe ?
- En tant qu'homme soucieux du respect des traités internationaux, je dirai qu'il faut respecter nos engagements. Il y va de la crédibilité de la France. Mais le passage à la monnaie unique n'est pas un remède-miracle. Il ne pourra être accepté durablement par la population que s'il s'accompagne d'une coordination des politiques économiques. Autrement dit, face à une banque centrale indépendante, il faudra une forme de gouvernement économique, afin de maintenir l'équilibre entre les contraintes salutaires d'une monnaie stable et les exigences d'un développement économique et social harmonieux.
"Ce n'est pas pour rien que j'ai fait adopter, au niveau européen, des politiques structurelles pour venir en aide aux régions en retard ou en mutation structurelle, pour stimuler le développement rural, pour accorder la priorité à l'insertion professionelles des jeunes ou à la lutte contre le chômage de longue durée. Ces orientations devront être renforcées dans les années à venir, grâce à plus de cohérence et de convergence entre les politiques nationales, qui demeurent compétentes, au principal, pour ces actions de solidarité.
- L'élection présidentielle française sera-t-elle importante pour l'Europe ?
- Tous les Européens ont les yeux fixés sur nous. Parce que la France séduit et agace à la fois. Mais ils savent aussi que notre pays a toujours été à la tête du mouvement pour une Europe unie. Par conséquent, ils se sentiraient orphelins si la France ne prenait pas clairement position.
"Puis-je, à ce sujet, rappeler que le document de la CDU allemande - sans se pencher ici sur le fond - a deux significations : tout d'abord, il confirme l'engagement européen allemand; mais il est aussi, en quelque sorte, une lettre recommandée adressée aux Français, leur disant : " Et vous, qu'en pensez-vous ? Vous n'êtes pas obligés de penser comme nous, mais, nous vous en prions, prenez position dans cette période cruciale pour l'avenir des nations européennes. "
- Et vous, que pensez-vous de la réponse ?
- C'est le silence radio, pour le moment ! Nos partenaires en concluent donc que la France hésite. Et ce silence peut devenir désastreux, même s'il n'est jamais trop tard pour bien faire. La construction européenne reste indispensable pour la France et, surtout, pour ceux qui ont les plus nobles ambitions pour notre pays. Si nous voulons rayonner, nous ne pourrons le faire que dans et à travers l'Europe, parce que nos propres marges de manoeuvre, comme celles de tout autre pays européen, sont trop réduites.
"Il n'y a pas d'alternative dans ce monde plein de risques et de menaces pour notre sécurité, pour notre bien-être, pour nos acquis sociaux. Si nous continuons dans la voie que j'ai contribué à tracer pour une union des nations européennes, nul doute que nous réussissions à faire rayonner la France et à renforcer notre capacité à faire progresser la société française.
- Le niveau de pertinence politique, aujourd'hui en France, c'est donc, à vos yeux, la construction européenne ?
- C'est la condition pour défendre nos intérêts et promouvoir nos idées sur le plan international. C'est une des conditions du progrès interne à la France, mais ce n'est pas la seule. En réalité, la construction de l'Europe est la seule grande aventure collective, tournée vers l'avenir, que l'on offre actuellement aux Français. Mais ce ne devrait pas être la seule. Il peut y en avoir d'autres aussi. La lutte contre le chômage et l'exclusion en est une magnifique, que l'on peut engager au niveau des négociations sociales, des villes, de l'éducation nationale, de la réforme fiscale, de l'adaptation de nos systèmes de sécurité sociale. Elle demandera, naturellement, que chacun fasse un effort.
"Alors qu'actuellement, à droite, on laisse entendre que tout cela est la conséquence d'avantages sociaux trop élevés, comme si pour devenir plus heureux, il fallait tendre vers le niveau de vie des pays les moins riches ! Et puis, à gauche, certains persistent à déclarer qu'il y aurait des politiques miracle, des trésors cachés. Fort heureusement, ils sont minoritaires, mais ils crient plus fort que les autres.
"C'est pourquoi, je le répète, il faut ouvrir le chantier de la réforme de la société par elle-même. Remettre la société en mouvement en faisant appel au sens de la responsabilité de chacun, telle est la seule voie pour un renouveau de la démocratie politique et sociale."